Dans mes interventions sur le terrain et à travers les projets que je partage sur Bioelec, la question des pertes réseau sur transformateurs revient systématiquement. Ces équipements, essentiels à la distribution d’énergie, peuvent générer des pertes substantielles — tant en pertes actives (cuivre) qu’en pertes fer (noyau) — qui affectent la performance énergétique et les coûts d’exploitation. J’ai constaté qu’une surveillance en temps réel, judicieusement pensée et intégrée, permet non seulement de détecter des dérives mais aussi d’agir pour réduire ces pertes. Voici comment j’aborde ce sujet, les solutions concrètes que je recommande et les résultats que l’on peut attendre.

Pourquoi les pertes de transformateur sont-elles un sujet critique ?

Un transformateur en service subit plusieurs sources de pertes : pertes au cuivre liées au courant traversant les enroulements, pertes fer dues aux hystérésis et aux courants de Foucault dans le noyau, pertes diélectriques et pertes liées aux charges non linéaires (harmoniques). Ces pertes représentent un coût continu et parfois invisible dans un bilan énergétique. Par exemple, un transformateur mal dimensionné ou dont le refroidissement est altéré verra ses pertes augmenter et sa durée de vie réduire.

Ce que la surveillance en temps réel apporte

La surveillance en temps réel transforme des données dispersées en informations actionnables. En collectant en continu des paramètres électriques, thermiques et géophysiques, on peut :

  • détecter les surcharges et les déséquilibres de phase avant qu'ils n'endommagent l'enroulement ;
  • suivre l’évolution de la température des enroulements et de l’huile pour optimiser le refroidissement et réduire les pertes thermiques ;
  • mesurer l’énergie réellement dissipée et comparer aux modèles théoriques pour identifier les dérives (vieillissement, défauts d'isolation) ;
  • mettre en place des actions correctives en quasi-temps réel (gestes opérateurs, délestage, optimisation du tap changer).
  • Capteurs et mesures indispensables

    Pour une surveillance efficace, j’intègre généralement plusieurs types de capteurs :

  • Transformateurs de courant (CT) et de tension (VT) pour mesurer tension, courant, puissance active/réactive, PF et harmoniques. Des produits comme ceux d’Eaton ou Schneider conviennent bien pour l’intégration SCADA.
  • Capteurs de température (PT100/PT1000, thermocouples) dans les enroulements et sur l’huile, pour suivre l’évolution thermique et ajuster le refroidissement.
  • Capteurs d’humidité et de gaz dissous dans l’huile (DGA) pour détecter les phénomènes d’isolation et d’arc précurseurs de pannes ; OMICRON, Vaisala ou ABB proposent des solutions DGA connectées.
  • Capteurs de vibration pour détecter des désalignements mécaniques ou des défauts structuraux.
  • Capteurs de courant de fuite et isolement pour surveiller la santé de l’enroulement et de l’isolation.
  • Architecture logicielle et traitements

    La valeur de la surveillance réside dans le traitement et la corrélation des données. Sur mes projets, j’utilise une architecture IoT industrielle basée sur :

  • une couche de collecte (gateways compatibles IEC 61850/Modbus/OPC UA) ;
  • une plateforme IoT/SCADA pour la visualisation temps réel et l’historisation (par exemple Ignition, Siemens MindSphere, Schneider EcoStruxure ou des plateformes plus spécialisées comme OSIsoft PI) ;
  • un module d’analyse & d’IA pour la détection d’anomalies et la prédiction (algorithmes de séries temporelles, réseaux de neurones, modèles physiques couplés à des modèles statistiques).
  • Ces couches permettent des fonctionnalités clés : détection d’anomalie en temps réel, calcul de l’efficience énergétique (kW perdu/kVA installé), modélisation thermique dynamique et alerting selon des seuils intelligents (pas seulement fixes).

    Cas d’usage concrets

    Je me souviens d’un site industriel où la gestion thermique des transformateurs était négligée. Après déploiement de capteurs de température et d’un module d’analyse prédictive, nous avons :

  • identifié des périodes récurrentes de surchauffe liées à des arrêts de ventilateurs de refroidissement ;
  • mis en place un pilotage automatique des ventilateurs basé sur la température réelle de l’enroulement plutôt que sur des consignes horaires ;
  • réduit les pertes thermiques et les cycles de fonctionnement en charge, améliorant l’efficience et prolongeant la durée de vie du transformateur.
  • Résultat mesuré : diminution des pertes actives de l’ordre de 5 à 8 % sur les périodes critiques et économie d’énergie significative sur le coût total d’exploitation.

    Indicateurs à suivre et tableau récapitulatif

    Pour piloter efficacement, je recommande de suivre ces KPIs :

    KPIObjectifFréquence de mesure
    Température enroulement/huileÉviter dépassements et cycles répétésContinu
    Pertes actives (kW)Suivre l’évolution et comparer au modèle1 min – 1 h
    Pertes ferDétecter vieillissement du noyau1 h – 24 h
    Taux d’harmoniques (THD)Limiter effets sur pertesContinu
    DGA – gaz dissousDétection précoce de défautsHebdo – Continu si en ligne

    Actions opérationnelles pour réduire les pertes

    Sur la base des données, plusieurs leviers concrets peuvent être actionnés :

  • Optimiser le dimensionnement et la charge : éviter les surcharges prolongées, répartir les charges entre transformateurs.
  • Améliorer le refroidissement : pilotage intelligent des ventilateurs et pompes, nettoyage et maintenance des radiateurs.
  • Corriger le facteur de puissance : utiliser bancs de condensateurs ou solutions statiques pour diminuer les pertes cuivre liées aux courants réactifs.
  • Gérer les harmoniques : filtrage actif/passif pour réduire les pertes supplémentaires causées par les courants harmoniques.
  • Planifier la maintenance prédictive : interventions ciblées basées sur l’évolution des KPIs (DGA, température, vibrations).
  • Aspects réglementaires, standards et sécurité

    Pour assurer une intégration pérenne, j’applique des standards reconnus : IEC 60076 pour les transformateurs, IEC 61850 pour la communication substation, IEC 62443 pour la cybersécurité industrielle. La protection des données et la résilience opérationnelle sont cruciales : accès restreint, segmentation réseau, certificats TLS pour les communications, et sauvegardes régulières des modèles et historiques.

    Retour sur investissement et gains attendus

    La mise en place d’une surveillance en temps réel a un coût initial lié aux capteurs, à la connectivité et à la plateforme logicielle. Cependant, les gains se matérialisent rapidement :

  • réduction des pertes énergétiques (souvent 3–10 % selon l’état initial) ;
  • prolongation de la durée de vie du transformateur ;
  • réduction des coûts de maintenance imprévue et des arrêts de production ;
  • meilleure conformité réglementaire et traçabilité.
  • Dans plusieurs projets que j’ai suivis, le ROI était atteint en 18 à 36 mois, parfois moins sur des sites fortement énergivores.

    Points de vigilance

    Quelques erreurs courantes que j’ai vues :

  • collecter des données sans stratégie d’analyse — beaucoup d’efforts pour peu d’actions ;
  • ne pas intégrer la cybersécurité dès la conception ;
  • déployer des capteurs isolés sans connexion à la supervision centrale ;
  • négliger la formation des équipes opérationnelles — l’outil doit devenir utile au quotidien.
  • Je recommande d’associer dès le départ exploitants, maintenance et IT pour garantir l’adoption et l’efficacité opérationnelle.

    Si vous souhaitez que je décrive une architecture type basée sur des produits concrets (par exemple une solution SCADA + passerelle IEC 61850 + capteurs DGA connectés), je peux vous proposer un schéma détaillé et une estimation budgétaire adaptée à votre flotte de transformateurs.