Lorsque l'on me demande comment mesurer le retour sur investissement (ROI) d'un projet d'efficacité énergétique dans un site de production, ma première réponse est toujours la même : ça dépend. Dépend de la nature des gains (énergie, maintenance, production), de la qualité des données disponibles, des variations de charge, et des objectifs de l'entreprise. Pourtant, derrière cette apparente complexité, il existe une méthodologie claire et éprouvée que j'applique systématiquement. Dans cet article, je décris ma démarche pratique, les indicateurs à surveiller, les outils que j'utilise — et les pièges à éviter.
Définir le périmètre et les objectifs
Avant de lancer des mesures, il faut poser des bases solides. Je commence toujours par cadrer le projet :
- Quel poste consommateur est ciblé ? (compresseurs, chauffage, ventilation, procédés thermiques, etc.)
- Quel est l'objectif principal ? Réduire la consommation énergétique, augmenter la disponibilité, diminuer les pics de puissance ou réduire la facture CO2 ?
- Quelle est la période de comparaison pertinente (saisonnalité, cycles de production) ?
Sans périmètre clair, toute évaluation du ROI risque d'être biaisée. Par exemple, comparer la consommation annuelle sans isoler les heures d'arrêt machine conduit souvent à surestimer les économies.
Établir une référence (baseline) robuste
La baseline est la clé : c'est la consommation attendue en l'absence du projet. Je privilégie une baseline basée sur des données réelles plutôt que sur des estimations théoriques. Voici mes approches préférées :
- Baseline historique : utilisation de données SCADA/PLC/compteurs sur 12–24 mois si disponibles.
- Modelisation statistique : régression multiple prenant en compte variables explicatives (production, température externe, horaires).
- Baseline normalisée : consommation ramenée à l'unité produite (kWh/tonne, kWh/unité) pour sites à production variable.
J'ai souvent recours à OSIsoft PI ou à des datalakes (AWS IoT, Azure) quand les volumes de données sont importants, mais Excel ou Power BI suffisent pour des baselines simples. L'important est d'expliquer et documenter la méthode choisie pour que la baseline soit défendable en audit.
Choisir les bons indicateurs
Les KPI doivent être pertinents, mesurables et alignés avec les objectifs métiers. Voici ceux que j'utilise systématiquement :
- Économies d'énergie (kWh) : différence entre baseline et consommation réelle.
- Économies financières (CHF ou €) : kWh économisés multipliés par le prix de l'énergie, en intégrant les tarifs horaires si nécessaire.
- Puissance maximale évitée (kW) : impact sur la facturation du maximum demandé.
- Coûts opérationnels évités : réduction de maintenance, allongement de la durée de vie d'équipements.
- Indicateurs de production : kWh/unité produite pour vérifier qu'il n'y a pas de dégradation de la performance.
- CO2 évité : utile pour les rapports RSE et subventions.
Calcul financier : plusieurs métriques complémentaires
Je ne m'arrête pas au simple payback. Selon le type de projet et les acteurs, j'utilise plusieurs métriques :
- Simple payback (années) : capex / économies annuelles. Rapide à calculer mais ne prend pas en compte la valeur temporelle de l'argent.
- Valeur actuelle nette (VAN / NPV) : actualise les flux de trésorerie (économies nettes) avec un taux d'actualisation. Indispensable pour comparer projets de durées différentes.
- Taux de rentabilité interne (TRI / IRR) : taux qui rend la VAN nulle, utile pour hiérarchiser les projets.
- Ratio coût/coût évité (Cost-Benefit) : utile quand il y a plusieurs bénéfices (énergie + maintenance).
Pour des exemples simples, j'utilise souvent un tableur avec scénarios pessimiste / réaliste / optimiste. Pour des projets complexes, je monte un modèle en Python ou MATLAB, intégrant sensibilité sur le prix de l'énergie et la disponibilité.
Mesure & vérification (M&V) : méthode et norme
La vérification des économies est l'étape qui rassure la finance et les parties prenantes. J'adopte volontiers la norme IPMVP (International Performance Measurement and Verification Protocol) et ses options A à D selon le niveau d'investissement dans la mesure :
- Option A : mesures partielles et estimations (idéal pour remplacer des équipements simples).
- Option B : mesures complètes des paramètres pertinents.
- Option C : mesure au niveau du site via comptage global (utile quand on n'a pas d'accès facile aux sous-systèmes).
- Option D : modélisation (bâtiments et procédés complexes).
Souvent, je combine des compteurs d'énergie intelligents (ex. Schneider, Siemens) avec des capteurs IoT pour collecter température, pression, débit, et j'alimente un tableau de bord Power BI ou Grafana pour le suivi en temps réel. Une bonne pratique : définir les règles d'ajustement de la baseline pour tenir compte des changements de production ou des températures extrêmes.
Évaluer les bénéfices non énergétiques
Un projet d'efficacité énergétique apporte souvent des bénéfices cachés : réduction des arrêts non planifiés, diminution des coûts de maintenance, amélioration de la qualité de production, ou gains de capacité. Ces bénéfices sont parfois plus stratégiques que les économies d'énergie directes. Je les quantifie ainsi :
- Calcul du coût évité d'une panne (coût par heure d'arrêt multiplié par heures évitées).
- Réduction des pièces de rechange et temps de maintenance traduits en coûts.
- Valorisation de la capacité libérée (plus de produits vendus).
Exemple chiffré simplifié
Pour rendre les choses concrètes, voici un tableau récapitulatif d'un cas typique : modernisation d'un parc de compresseurs avec variateurs de vitesse.
| Poste | Valeur |
|---|---|
| Investissement CAPEX | 120'000 CHF |
| Économies énergétiques annuelles | 45'000 kWh → 6'750 CHF (0.15 CHF/kWh) |
| Réduction maintenance annuelle | 5'000 CHF |
| Économies totales annuelles | 11'750 CHF |
| Payback simple | ~10,2 ans |
Cet exemple met en évidence l'importance d'inclure la maintenance et autres bénéfices pour ne pas sous-estimer le ROI. Si l'on inclut une subvention gouvernementale de 20'000 CHF, le payback tombe à ~8,4 ans.
Suivi post-implémentation et itération
Je recommande un plan de suivi sur au moins 12 à 24 mois après mise en service. Les étapes que je préconise :
- Mettre en place des tableaux de bord temps réel et des rapports mensuels.
- Comparer régulièrement la consommation par période identique et ajuster la baseline si la production change.
- Documenter les leçons apprises et réévaluer les hypothèses financières (prix énergie, taux d'actualisation).
Enfin, gardez en tête que la confiance dans les chiffres augmente avec la qualité des mesures. Investir 5–10% du CAPEX dans un système de mesure fiable paye souvent en crédibilité et en décisions plus éclairées.
Si vous voulez, je peux vous fournir un modèle Excel de calcul de ROI adaptatif pour vos projets (avec VAN, TRI, scénarios), ou examiner un cas concret de votre site en me décrivant les équipements, la consommation actuelle et le type d'amélioration envisagé.