Sur un site logistique, optimiser la charge d'une flotte de véhicules électriques n'est pas qu'une question de prises et de kilowatts : c'est un exercice d'équilibriste entre contraintes d'infrastructure, coûts énergétiques, disponibilité opérationnelle et sécurité. J'ai accompagné plusieurs entreprises dans cette transformation : des entrepôts qui modernisent leur flotte de chariots élévateurs aux plateformes de distribution qui electrifient leurs camionnettes et poids lourds. Voici ce que j'ai appris et ce que je recommande quand on veut rendre la recharge à la fois fiable, économique et durable.

Commencer par les besoins réels : cartographier la flotte et les cycles

Avant toute solution technique, il faut connaître précisément la flotte et ses usages. Je demande systématiquement :

  • Quel type de véhicules ? (chariots élévateurs, utilitaires légers, camionnettes, PL)
  • Quelle capacité batterie et quelle autonomie réelle en pratique ?
  • Quels sont les profils d'utilisation journaliers ? (durée de service, fenêtres de repos, pics)
  • Quelles priorités opérationnelles : disponibilité 24/7 ou plages définies ?
  • Sur un site que j'ai suivi, les chariots élévateurs avaient des temps de charge courts mais fréquents, alors que les camions recommençaient la journée à 100 % de charge. Adapter la stratégie à ces profils évite le surdesign coûteux d'infrastructure électrique.

    Maîtriser la puissance disponible : connaître la contrainte réseau

    Le réseau du site est souvent le goulot d'étranglement. J'insiste pour obtenir :

  • La puissance souscrite et les pointes historiques de consommation.
  • La possibilité d'augmenter la puissance contractuelle et le coût associé.
  • Les limites physiques du transformateur et des tableaux.
  • La gestion active du flux d'énergie (load management) est presque toujours nécessaire. Plutôt que d'augmenter systématiquement la puissance, je préfère souvent déployer un EMS (Energy Management System) pour piloter dynamiquement les chargeurs et éviter les surtensions facturées par le fournisseur.

    Choisir des chargeurs adaptés et communicants

    Pour moi, la règle d'or est : investir dans des chargeurs intelligents plutôt que dans la puissance brute. Voici les caractéristiques que je privilégie :

  • Communication (OCPP, Modbus, MQTT) pour intégration avec un EMS ou une supervision SCADA.
  • Possibilité de pilotage en puissance et en priorité par véhicule.
  • Fonctions de sécurité et de supervision (protection contre défauts, historiques).
  • Compatibilité avec la microgrille ou le stockage si prévu.
  • Des fournisseurs comme ABB, Schneider ou ChargePoint offrent des chargeurs industriels robustes et compatibles OCPP — ce standard facilite grandement l'interopérabilité.

    Stratégies de charge : équilibrer coûts et disponibilité

    Voici les stratégies que j'applique selon les contextes :

  • Charge programmée : planifier la charge pendant les heures creuses pour profiter de tarifs réduits. Simple et efficace pour les véhicules qui dorment sur site.
  • Load sharing : répartir la puissance disponible entre chargeurs pour éviter les pointes. Indispensable quand la souscription ne peut pas être augmentée.
  • Priorisation intelligente : définir des priorités (véhicules critiques, départs imminents). L'EMS ajuste la puissance en temps réel.
  • Charge opportuniste : profiter des fenêtres de faible activité pour faire des recharges rapides et partielles, efficace pour les chariots qui ont de courtes pauses.
  • Vehicle-to-Grid / Vehicle-to-Building (V2G/V2B) : en phase pilote sur des sites logistiques ayant des PL ou des utilitaires avec batteries significatives, j'ai testé des scénarios où les véhicules restituaient de l'énergie pour soulager une pointe. À considérer si le parc et la réglementation le permettent.
  • Associer production solaire et stockage pour lisser la demande

    Installer une toiture photovoltaïque et un stockage batterie change la donne. J'ai vu des sites réduire drastiquement leur facture en combinant PV + stockage + EMS :

  • Le PV alimente en priorité la recharge quand il y a du soleil.
  • Le stockage lisse l'intermittence et fournit de la puissance pendant les pointes.
  • Le dimensionnement doit être fait en fonction des profils de charge : un petit stockage bien piloté peut éviter une augmentation coûteuse de la puissance contractuelle.
  • Intégration numérique : superviseur, API et données

    Sans visibilité, on pilote à l'aveugle. J'implante toujours une couche de supervision qui collecte :

  • Consommation globale et par point de charge.
  • État de charge et historique d'utilisation des véhicules.
  • Alarmes et événements (arrêts, erreurs, dérives).
  • Avec ces données, on peut définir KPI clairs : taux d'utilisation des chargeurs, coût/kWh réel, disponibilité des véhicules, temps moyen de charge. Les tableaux de bord aident les opérationnels à prendre des décisions et à ajuster les priorités.

    Aspects opérationnels et organisationnels

    L'optimisation n'est pas que technique : elle nécessite des changements de process. Voici quelques mesures pratiques que je recommande :

  • Établir des règles de priorités claires pour le personnel de la logistique.
  • Former les conducteurs aux bonnes pratiques de charge (éviter le 100 % systématique si inutile, utiliser les sessions opportunistes).
  • Mettre en place un calendrier d'entretien pour les chargeurs et les systèmes de distribution.
  • Sécurité et cybersécurité : impératifs industriels

    Relier des chargeurs au réseau IT du site ouvre des vulnérabilités. Je conseille :

  • Segmenter le réseau OT/IT et utiliser des passerelles sécurisées.
  • Mettre en place des certificats, authentifications et mises à jour régulières des chargeurs.
  • Superviser les logs et intégrer la sécurité dans le plan de maintenance.
  • Exemple comparatif de stratégies (simplifié)

    StratégieAvantagesInconvénients
    Charge programméeCoûts réduits, simple à implémenterMoins flexible, dépend des plages
    Load sharing + EMSOptimise puissance disponible, évite upgradesNécessite intégration logicielle
    PV + stockageRéduction facture et émissionsInvestissement CAPEX initial
    V2G/V2BFlexibilité maximale en pointeComplexe, dépend réglementation et batteries

    KPIs à suivre pour mesurer l'efficacité

    Je propose de suivre au moins ces indicateurs :

  • Coût énergétique par km ou par heure d'utilisation.
  • Taux de disponibilité opérationnelle de la flotte.
  • Taux d'utilisation des points de charge.
  • Nombre d'incidents charge/équipements par mois.
  • Économies réalisées par rapport à un scénario sans gestion intelligente.
  • En pratique, j'ai vu une plateforme logistique réduire de 20 à 35 % ses coûts de recharge après déploiement d'un EMS, d'une petite batterie tampon et d'une politique de charge adaptée aux profils d'utilisation.

    Checklist rapide pour démarrer

  • Cartographier la flotte et les profils de charge.
  • Analyser la capacité réseau et les coûts tarifaires.
  • Sélectionner des chargeurs communicants et standardisés (OCPP).
  • Déployer un EMS pour pilotage et supervision.
  • Considérer PV + stockage si le CAPEX est justifié.
  • Former les équipes et établir des règles opérationnelles.
  • Mettre en place la cybersécurité et la maintenance préventive.
  • Optimiser la recharge d'une flotte sur un site logistique, c'est livrer une solution qui colle aux usages, à l'infrastructure et aux objectifs économiques et environnementaux. Avec une démarche mesurée — diagnostics, priorisation et pilotage — on peut obtenir des gains tangibles sans casser la banque. Si vous avez des questions spécifiques sur un cas concret, je peux vous aider à définir une feuille de route technique et financière adaptée à votre site.